Uncanny Riots - Courts-lettrages 2

Marsha ne se doutait pas de toutes les conséquences qu'aurait son hack d'une intelligence artificielle basique. Pourtant, elle va sans le savoir déclencher un des événements les plus importants du 21ème siècle.
 
Uncanny Riots est une nouvelle de science-fiction cyberpunk écrite par double L.
Le début de la nouvelle peut se lire ici, mais le texte étant plutôt long (près de 15 000 mots), vous pouvez la lire gratuitement et en entier de plusieurs façons :

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Bonne lecture !

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Uncanny Riots

Leonardo ouvrit la porte précipitamment, laissant à Gabriela quelques instants pour profiter d’un rayon de soleil couchant et de l’air chaud du Brésil, avant que la porte délabrée ne se referme violemment, faisant voler quelques copeaux de bois. Leonardo poussait des jurons, se prenait la tête entre les mains et donnait des coups dans les murs qui tremblaient sous les impacts.
Gabriela le suivait des yeux alors qu’il dessinait des cercles en fulminant. Il finit par ralentir, puis s’immobiliser et sembla se souvenir qu’elle était là. Il poussa un long soupir et lui expliqua la situation. Ses yeux s’embuèrent de larmes, d’abord de rage alors qu’il ornait son récit d’insultes envers les responsables, puis de désespoir alors que les conséquences de la situation dans laquelle il était étaient énoncées à voix haute.
Pour la troisième fois depuis le début du mois, il s’effondra dans les bras de Gabriela, inondant son épaule de larmes, étouffant ses pleurs contre elle.
La première fois, c’était parce que le propriétaire de l’appartement miteux dans lequel iels logeaient menaçait de le mettre dehors s’il ne payait pas ses trois mois de retard avant la fin de celui-ci.
La deuxième, c’était parce que sa grand-mère, qui vivait chez lui avec Gabriela, était morte, faute d’avoir de quoi payer les soins nécessaires.
Et cette fois, c’était parce que les actionnaires de l’entreprise pour laquelle il travaillait avait décidé de réduire ses effectifs et qu’il faisait partie des malheureuxses licencié•e•s.
Gabriela l’entoura des ses bras et le berça tendrement. Les sanglots se calmèrent progressivement. Leonardo s’essuya le visage et eut un sourire désolé.
- Je crois que je n’ai plus le choix. Je vais devoir me séparer de toi.
- D’accord, répondit Gabriela.
Il avait étudié plusieurs fois la question. La mort de sa grand-mère lui avait permis de toucher un peu d’argent en vendant toutes ses affaires, mais pas du tout assez, d’autant qu’il avait dû en utiliser une bonne partie pour les funérailles qui auraient bientôt lieu.
Il avait déjà réfléchi à la question mais espérait qu’il n’aurait pas à aller jusque là. Sa grand-mère lui en aurait voulu. Elle aimait beaucoup Gabriela et la considérait comme de la famille. Mais elle serait sans doute mieux au près de son amie Marsha.
Il pesa encore le pour et le contre au cours du dîner que Gabriela avait préparé, mais une fois fini, sa décision était prise. C’était ce qu’il y avait de mieux à faire.
Il informa donc Marsha de la situation. Elle lui répondit rapidement qu’elle était d’accord et les invita à venir chez elle le lendemain soir pour qu’elle puisse en juger et qu’iels discutent du prix.
Leonardo accepta, tentant d’ignorer la voix de sa grand-mère dans sa tête qui le maudissait et celle qui le culpabilisait de participer à un tel trafic.


Marsha était encore occupée lorsque Leonardo et Gabriela arrivèrent. Elle s’interrompit dans sa besogne le temps de répondre à l’interphone pour leur demander d’attendre, avant de revenir à son client.
Leonardo grommela, tournant en rond au pied de l’immeuble. Gabriela le suivait des yeux, immobile et droite. Un passant cracha à ses pieds, l’insulta et poursuivit son chemin avant que Leonardo puisse intervenir. Ça aurait pu être pire, les menaces sont parfois mises à exécution.
Finalement, Leonardo reçu un message de Marsha et elle leur ouvrit la porte. Iels appelèrent l’ascenseur, qui s’ouvrit et laissa passer un homme bien trop bien habillé pour ce quartier. Vraisemblablement le client de Marsha, au vu de son regard fuyant et de son pas pressé.
Iels montèrent jusqu’au huitième étage, sous la lumière défaillante et jaunâtre de l’ascenseur brinquebalant, au point que Leonardo craignait qu’il ne se bloque ou même ne s’effondre. Il n’en fut rien et iels furent ensuite accueilli•e•s dans le couloir couvert de tags par un vieillard sale et à demi-conscient.
Celui-ci manqua de s’étouffer dans sa bière en ricanant lorsque Marsha leur ouvrit, en sous-vêtements et les cheveux en bataille.
- Installez-vous, proposa-t-elle en refermant les serrures et cadenas derrière elle. Je me débarbouille et je suis à vous.
Elle alla dans la salle de bain. Leonardo s’assit dans le canapé mou et attendit que les bruits d’eau cessent et que Marsha ressorte, cette fois vêtue d’un mini-short et d’un t-shirt geek trop grand.
- Tu pourrais la laisser s’asseoir, réprima-t-elle en poussant les dessous et divers objets auxquels Leonardo faisait mine de ne pas prêter attention.
- Elle en a pas vraiment besoin, rétorqua-t-il.
- Tu lui as demandé son avis ?
- Bah...
- Comment tu t’appelles ? demanda-t-elle à Gabriela après l’avoir posée à côté de Leonardo.
- Gabriela, répondit l’intéressée après un regard vers Leonardo.
- C’est ma grand-mère qui l’a appelée comme ça, précisa-t-il. C’est le prénom que j’aurai eu si j’avais été une fille.
- Les prénoms, ça peut se changer, marmonna Marsha. Ça te convient, Gabriela ?
Celle-ci réfléchit quelques instants.
- Oui.
- Mouais... C’est quoi ton modèle ?
- HomeHelper 1.3.12b-2026, BrazilRobotics™.
Marsha grimaça.
- C’est un vieux modèle donc très basique. Mais au moins la licence sera facile à craquer.
- Tu me la prends à combien ?
Marsha monta les yeux au ciel.
- Je t’aime bien, Leonardo. Mais parfois tu fais vraiment pas dans la finesse. Et arrête de jouer les insensibles, je vois bien que ça te fait du mal de me la laisser.
Leonardo prit le soin de ne pas regarder vers Gabriela.
- Écoute, j’ai de toute façon pas assez pour te payer en une fois, avec toutes mes amendes à payer. Je t’avance 300 aujourd’hui et je te file 4000 plus tard. Va falloir que je bosse non-stop et que je mange que des pâtes pour un mois mais ce sera pas la première fois...
Leornado réfléchit.
- C’est pas assez pour rembourser le proprio...
- T’en tireras trois fois moins ailleurs. Le modèle est pas rare, elle intéressera pas les collectionneurs.
- Va falloir que je fasse comme toi, plaisanta-t-il amèrement.
- Et pourquoi pas ?
- Bah, j’suis un gars.
- Y’a aussi des mecs qui le font. Et c’est pas négligeable ce qu’ils gagnent.
- Oui mais avec d’autres hommes, non merci, très peu pour moi.
- C’est pas les seuls, même si c’est surtout des hommes que ça intéresse, c’est vrai. Crois-moi, je préférerai aussi des filles. Mais contrairement à toi, j’ai pas vraiment le choix. Comme on veut de moi nulle part, parce que je dérange le public, parce que je gêne les collègues ou je ne sais quelle excuse parce que paraît-il que je ne suis « pas une vraie femme »... Et quand je trouve enfin quelqu’un qui est prêt à me laisser servir dans son restaurant, c’est pour abuser de moi...
Leonardo acquiesça avec gravité. Iels s’étaient rencontré•e•s lorsqu’iels travaillaient ensemble dans le restaurant en question. Tout•e•s les employé•e•s savaient ce que le patron faisait subir à Marsha et quand Leonardo décida finalement d’agir en prévenant la police, iels furent viré•e•s après que les agents se soient moqués du patron et aient humilié Marsha. Celle-ci, une fois le désespoir de se retrouver encore une fois sans emploi passé, fut reconnaissante envers Leonardo, d’autant que celui-ci ne chercha pas à abuser de son statut de « sauveur », comme Marsha l’avait déjà vécu. Cinq mois plus tard, Leonardo avait réussi, non sans difficulté et jusqu’à la veille, à trouver du travail malgré que le profil qu’il fallait présenter aux employeurs précise qu’il ait déjà été viré, tandis qu’escort, camgirl et travailleuse du sexe avait été les seuls gagne-pains possibles pour Marsha.
- Bon, reprit Leonardo. D’accord. Je finirais bien par trouver quelque chose pour compléter.
- Espérons, ouais...
Elle alla lui chercher ses billets. Le temps paru très long à Leonardo qui faisait tout pour éviter de regarder vers Gabriela. Il allait se décider à lui dire quelque chose quand Marsha revint.
Elle lui remit l’argent.
- Voilà. Repasse la semaine prochaine, j’aurai sans doute pas tout le reste, mais déjà un peu plus. Et puis ça te permettra de revoir Gabriela.
Leonardo acquiesça d’un sourire gêné.
- Je veux bien reprendre ses vêtements, par contre. C’était ceux de Mémé et...
- Bien sûr.
- Gabriela, tu peux me rendre tes habits, s’il te plaît ?
Celle-ci s’exécuta, enleva les vieilles frasques de toute façon trop courtes et les tendit à Leonardo qui les accepta en rougissant. Marsha alla chercher une couverture et couvrit Gabriela.
- Tu peux toujours changer d’avis, proposa Marsha en remarquant la gêne de Leonardo.
- Non... Non. Elle est sans doute mieux avec toi, de toute façon. C’est juste que... Mémé me tuerait si elle savait que je l’ai laissé à quelqu’un… d’autre. Mais bon, là où elle est...
Marsha fut à son tour gênée devant le signe de croix de Leonardo.
- Bon, je vous laisse faire vos adieux... Enfin, je plaisante, hein ? C’est pas non plus comme si tu n’allais plus jamais la revoir !
- Ouais... Non, c’est bon. Gabriela, euh... Merci de t’être occupée de Mémé, de m’avoir tenu compagnie et euh... Marsha est une fille bien, tu verras.
Il décida que c’était suffisant et qu’il était temps de partir. Il serra Marsha dans ses bras, puis après un temps d’hésitation, fit de même avec Gabriela. Il partit sans se retourner. Marsha referma derrière lui.
- Eh bien, bienvenue chez toi, Gabriela !


Le lendemain matin, Gabriela passait le balai quand Marsha se réveilla.
- Bah, tu fais quoi ?
- Je fais le ménage. Faut-il que je prépare le petit déjeuner ?
- Non, non ! Plus besoin pas de faire ça ! C’est pas la peine avec moi.
- Je suis désolée.
Marsha soupira. Gabriela s’excusait tout le temps. La veille, Gabriela était restée dans la salle principale pendant que Marsha s’enfermait dans sa chambre pour se produire en direct. Marsha lui avait proposé de jouer à un jeu vidéo en attendant qu’elle ait finit son spectacle, mais lorsqu’elle revint, Gabriela était assise devant l’écran, la manette entre les mains, toujours au point de départ.
- Je suis désolée, je ne sais pas ce qu’il faut faire. Pouvez-vous m’expliquer ?
- Bien sûr, lui avait-elle répondu en s’amusant de ses manières.
Elles avaient passé une heure à jouer, Marsha guidant Gabriela, lui expliquant les contrôles et ce qu’il fallait faire. Mais Gabriela ne faisait que reproduire ce que disait Marsha, sans prendre d’initiatives, et s’excusait à chaque échec.
Marsha avait fini par abandonner et était allée se coucher. Elle avait proposé à Marsha de rester à côté d’elle, mais finalement, la sentir proche et immobile l’empêchait de dormir. Gabriela avait donc passé la nuit sur le canapé.
Et voilà que ce matin, elle faisait le ménage et voulait faire la cuisine.
- Tu sais, avec moi, c’est pas la peine de faire tout ça. Si j’ai besoin que tu m’aides, je te le demanderais.
- Que dois-je faire ?
- Rien pour le moment. Si je t’ai prise, c’est pour autre chose. Je vais être un peu débordée aujourd’hui et demain. Mais après, j’aimerais bien te proposer de... t’améliorer... Si tu es d’accord.
- M’améliorer ?
- Je voudrais essayer de t’humaniser un peu plus.
Gabriela resta silencieuse.
- D’être un peu plus comme moi, précisa Marsha.
Gabriela parcourut Marsha des yeux.
- Je veux bien être comme toi.
Marsha sourit. Gabriela l’imita.
- Tu seras géniale, j’en suis sûre.
- Géniale comme toi ?
Marsha éclata de rire.
- Tu sais comment me parler, toi ! Chérie, tu seras sans doute encore plus géniale que moi.


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