Repolitiser la non-binarité et le genre
Les personnes se revendiquant de la non-binarité de genre (divergeant des genres femme/homme et de leur binarité) étant de plus en plus nombreuses et tentant de prendre part aux luttes LGBTQI (lesbiennes, gays, bies, trans, queer, intersexes), il me semble nécessaire de questionner la façon dont cette communauté se construit en tant que mouvement politique.
Notes de contenu : réflexions sur le genre, la non-binarité, la transidentité, critique des visions néo-libérale, identitaire et individualisante du genre et de la non-binarité.
Mentions
de violences sexistes et lgbtqiphobes
Ce
texte
a donc pour
but d’encourager à une réflexion interne à la communauté
non-binaire sur sa vision du genre, son utilisation de l’identité
et son positionnement au sein la communauté queer et
des luttes
LGBTQI.
(Edit : Précision : on m'a reproché de concentrer ma critique uniquement sur le mouvement non-binaire. C'est parce que j'écris en tant que non-binaire réfléchissant sur les prises de position les plus courantes de cette communauté. Les critiques faites sur l'identité peuvent viser d'autres domaines que la non-binarité, comme c'est d'ailleurs suggéré à plusieurs reprises)
(Edit : Précision : on m'a reproché de concentrer ma critique uniquement sur le mouvement non-binaire. C'est parce que j'écris en tant que non-binaire réfléchissant sur les prises de position les plus courantes de cette communauté. Les critiques faites sur l'identité peuvent viser d'autres domaines que la non-binarité, comme c'est d'ailleurs suggéré à plusieurs reprises)
J’aimerais
revenir sur les manières
dont on peut comprendre le genre et les oppressions qui y sont liées,
sur la non-binarité et ce
qu’elle désigne et enfin
sur les luttes LGBTQI
et la position que peuvent y tenir les personnes non-binaires.
GENRE(S)
Le
mot « genre » est de plus en plus utilisé, parfois sans vraiment comprendre
tout ce qu’il peut désigner. Revenons donc dans un premier temps
sur ce que désigne le concept de genre.
Qu’est-ce
que le genre ?
Le
terme genre est
la traduction du mot gender,
mot
utilisé à partir de la deuxième moitié du 20e
siècle dans les milieux universitaires nord-américains (avant
d'être repris ailleurs) pour désigner les catégories
de sexe en tant que
catégories sociales.
Les
études féministes ont entrepris de démontrer que le genre est une
catégorisation dont dépend le rôle et la place qu’occupe une
personne dans la société : la division en catégories de sexe,
ou division genrée, permet de maintenir un système de domination
(qu’on peut appeler patriarcat)
dans lequel un groupe (les hommes)
exerce son pouvoir et en opprime un autre (les femmes).
Cette
domination est justifiée en imposant des visions
biologisantes ou essentialistes de l’existence de ces deux
catégories (à base de « nature féminine/masculine »).
Ces visions ne prennent pas en compte que les inégalités entre
femmes et hommes sont le résultat d’un développement culturel,
social, juridique, économique et politique. Il s’agirait donc
d’une construction plutôt qu’une division « naturelle »
due à une différence mystico-biologique entre femmes et hommes.
Le
genre désigne donc dans un premier temps la manière d’analyser la
société en terme de classes de sexe, une organisation
permettant une division binaire entre deux catégories inégales,
hiérarchisées.
Un
système oppressif
La
division genrée permet l’exercice de plusieurs oppressions,
inégalités et privilèges.
La
classe des hommes
bénéfice de privilèges dont les représentants abusent de manière
systématique, même involontairement, sans s’en rendre compte.
La
classe des femmes,
au contraire, accède plus difficilement à ces privilèges et est
victime d’inégalités (travail domestique, salaire, etc.).
La
domination masculine est assurée
par la menace constante de violences physiques (coups, féminicides,
viols, violences conjugales, etc.), psychologiques (insultes, harcèlement)
et par
tous les autres moyens
d’assurer le contrôle sur les femmes, leur vie et leur corps, par
exemple dans leur sexualité,
l’occupation de l’espace public ou dans la volonté à s’assurer
que toutes les femmes existent dans un rapport (social, sexuel,
familial, etc.) avec les hommes.
Le
genre est également un système hétéronormé qui impose un
« contrat hétérosexuel » (La
Pensée straight,
Monique Wittig). La
formation d’un couple avec un·e partenaire de sexe opposé est
pensée
comme norme. Les dérives à celle-ci peuvent être condamnées,
socialement et juridiquement.
Le
genre est imposé à la naissance. Pour les personnes intersexes (qui
possèdent à la fois des caractères biologiques de corps masculins
et féminins), cela signifie d’être mutilées et assignées à des
organes sexuels et un genre
imposés
par l’entourage et la
chirurgie dès la naissance.
Les
personnes trans (note :
j'utiliserai le terme trans, regroupant transgenre/sexuel·le, pour
désigner les personnes qui transitionnent, quelque
soit cette transition et son stade)
et non-binaires souffrent également de ce genre
imposé, dans lequel elles
ne se reconnaîtront pas.
La
transition, qu’elle soit hormonale, chirurgicale ou sociale, permet
aux personnes trans d’être perçues d’une manière qui leur
convient mieux. Mais la transition est fortement rejetée. La
transphobie est omniprésente et a des conséquences graves.
L’éloignement
des genres binaires (femme et homme), en tant qu’identités,
apparences, rôles, statut social, etc., est également rejeté dans
les sociétés occidentales actuelles. Certaines
personnes non-binaires transitionnent elles-aussi.
Le
genre n’est pas l’unique source d’oppression systémique,
puisque les processus de racialisation, d’inégalités entre
classes sociales ou encore de validisme sont tout aussi violentes.
Elles sont même des éléments aggravants des oppressions, qui
s’accentuent avec l’intersectionnalité de celles-ci.
L’identité
de genre
Si
le genre est avant tout un processus d’assignation de rôle et de
place sociale, on peut également le comprendre comme une identité,
un ressenti, qui peuvent en différer. Ainsi, certaines personnes s’identifient comme femmes, comme hommes ou
à des genres différents.
On
suppose par défaut que toute personne ressent une appartenance au
genre auquel elle a été assignée, mais ce n’est pas le cas pour
toustes, notamment pour les personnes trans et non-binaires. Ce
décalage entre le genre assigné et celui auquel on peut
s’identifier peut créer un sentiment de dysphorie, terme médical
désignant un mal-être qui peut être (au moins en partie) minimisé
en effectuant une transition.
L’identité
de genre n’est pas le vecteur principal des oppressions (au sens
systémique), puisque celles-ci se basent avant tout sur le plan social et la transgression de ses normes. Cependant, le refus d’accepter
le ressenti et l’identité de genre, souvent remises en cause et
critiquées, est blessant et s’illustre régulièrement d’une
certaine violence.
L’identité
peut aussi amener des dynamiques d’empowerement
(reprendre un pouvoir confisqué par sa place sociale) lorsqu’elle
est revendiquée de manière collective par une communauté
oppressée. Mais elle n’est vraisemblablement pas suffisante pour
initier un changement global.
Car
l’identité est à double-tranchant. Elle peut être utilisée pour
justifier des comportements que l’on cherche à combattre. Elle a
également tendance à dépolitiser les luttes en déplaçant un
problème global vers un problème individuel. Ce n’est pas tant
les identités divergeant de la norme hétérocis qui sont rejetées
que la transgression socialement perceptible qui y est liée.
Il
y a donc plusieurs façons d’appréhender le genre, en tant que
division sociale, identité, rôle, performance, etc. Les différents
courants féministes ne tiennent pas tous la même position. Je
trouve l’approche
matérialiste particulièrement intéressante car
elle se concentre principalement sur les conditions et
conséquences matérielles du système genré. Je m’inscris
également dans l’idée que c’est sur
ce système genré en lui-même que se basent les oppressions et que
chercher à le déconstruire, à le détruire, est une solution
intéressante.
Maintenant
que nous sommes revenus sur ce qu’on pouvait entendre par
« genre », voyons plus précisément comment s’y
positionne la non-binarité.
LA NON-BINARITÉ
Le
genre est le résultat d’une construction sociale, y compris dans
la division binaire qui le compose. Ces dernières années ont vu le
développement de la remise en cause de cette binarité et de
personnes revendiquant le droit de pouvoir exister en dehors de
celle-ci.
Mais
qui relève de la non-binarité ? Comment s’inscrit-elle dans
le fonctionnement de la société et l’ordre genré ?
Qu’est-ce qu’elle implique et comment est-elle considérée par
le reste du monde ?
Qu’est-ce
que la non-binarité ?
On
peut désigner par « non-binarité » ce qui relève de
l’éloignement, d’une façon ou d’une autre, des genres dits
« binaires » (femme et homme).
On
parle généralement de « personnes non-binaires » pour
désigner les personnes ressentant ne pas appartenir
complètement, tout le temps et/ou uniquement aux genres femme ou
homme.
Les
identités non-binaires sont parfois désignées par des noms plus
précis (mais ce à quoi ils renvoient précisément peut changer
d’une personne à l’autre) : neutre, androgyne, genderqueer,
bigenre, agenre, xénogenre, genderfluid… Le fait de nommer ces
identités permet à certain·e·s de s’épanouir, de mieux se
comprendre. Cette multiplicité des identités embrouille aussi
beaucoup de monde, y compris des non-binaires perdu·e·s dans les
listes de termes, noms, définitions et identités. De plus, il
existe une sorte de pression interne (sans doute involontaire), qui
fait qu’il est nécessaire de trouver son identité pour être
considéré·e comme un·e vrai·e non-binaire™.
Revendiquer
une identité peut être individuellement constructif mais son
utilité dans un contexte social et militant a des limites.
Le
concept de non-binarité comme on l’utilise ici n’a de sens que
dans notre contexte contemporain et occidental. Des genres autres que
femme et homme ont existé et existent encore au sein
d’autres civilisations (par exemple les two-spirits
natifs-américains, les hijras
en Inde, les fa’afafine
polynésiens, etc.), bien que la colonisation occidentale ait
imposé son modèle binaire. Il faut cependant éviter de tomber dans
des récupérations néo-colonialistes et orientalisantes en
utilisant, instrumentalisant ces constructions genrées alternatives,
en les présentant comme des « Eldorados du genre »
(Autonomie
& Autodétermination,
Circé Delisle) sur lesquelles on calquerait un universalisme
occidental.
Femme
et homme sont des constructions sociales et identitaires, les genres
non-binaires le sont également. Mais on ne peux pas vraiment placer
socialement les individu·e·s non-binaires selon leur genre
revendiqué : le schéma qui organise la société est binaire
et la place qui nous y est assignée dépend surtout de la manière
dont on est perçu·e. Les personnes LGBTQI et toutes celles ne se
conformant pas socialement à l’organisation genrée brouillent un
peu cette organisation et sa binarité, mais elles existent toujours
bel et bien.
Non-binarité
et oppressions
S’identifier
à un genre non-binaire est encore quelque chose de difficilement
accepté par les autres, ce qui peut se traduire par différentes
formes de violences, physiques ou psychologiques. Mais lorsqu’elles se
produisent, ces situations sont dues avant tout au refus de la
non-conformité, l’identité en tant que telle n’est que
secondaire (tant qu’elle sort de la norme, peu importe l’identité
en question, elle ne changera pas vraiment cette violence). Ces
situations dépendant davantage de l’éloignement à la norme (qui
est certes difficilement quantifiable) et du contexte dans lequel il
a lieu que de l’identité en elle-même.
Ces
situations méritent-elles la dénomination d’« enbyphobie »
(enby pour la prononciation anglaise de NB, pour non
binary), comme certain·e·s le formulent ? Peut-on en
parler comme d’une oppression à part entière ?
La
question est régulièrement posée. Je ne pense pas qu’on puisse
nier que les personnes non-binaires s’exposent à des comportements
opprimants (bien que l’intensité de ceux-ci soient variables).
Mais par oppression, on entend d’habitude (dans un contexte
féministe) oppression systémique, c’est à dire quelque
chose de profondément inscrit dans le fonctionnement de la société
et où un groupe précis à une position dominante sur un autre.
Le
système genré étant extrêmement binaire, l’existence en-dehors
de cette norme est tout simplement ignorée. Peut-on considérer
qu’il s’agit d’une situation d’oppression alors que les
catégories « binaires » et « non-binaires »
ne sont envisagées que par quelques personnes ? Comment ce
manifeste cette oppression des personnes binaires ? Le fait de
ne pas reconnaître quelque chose (ici, la non-binarité) comme
légitime suffit-il pour qu’on puisse parler d’une oppression de
même ampleur que les oppressions de genre, de race ou de classe ?
Je
pense que les situations d’oppressions vécues par les personnes
non-binaires ne sont pas dues au rejet de leur identité en tant que
telle mais plutôt à celui de leur non-conformité.
De
même, on peut questionner l’emploi du terme « privilège
binaire ». Il sous-entend qu’on puisse désigner une
catégorie de personnes binaires qui pourraient faire /
auraient accès à certaines choses auxquelles les personnes
non-binaires n’auraient pas (ou avec plus de difficultés).
Autant il est courant que les personnes non-binaires se retrouvent
effectivement dans de telles situations, autant je ne pense pas que
ce soit quelque chose qui les vise uniquement. J’ai plutôt
l’impression que c’est quelque chose qui rentre plus largement
dans les lgbtqiphobies (les oppressions vécues par les personnes
lesbiennes, gay, bies, trans, queers et intersexes). Il me semble
donc inexact de qualifier des personnes LGBTQI, même lorsqu’elles
ne se revendiquent pas non-binaires, de « binaires » (ou
ayant un statut binaire), car leur manière d’être/de vivre
les fait s’éloigner de la norme binaire du genre, même dans les
cas où elles souhaiteraient vivre comme une personne binaire.
Si
les personnes non-binaires peuvent être victimes d’oppressions, je
ne crois donc pas qu’il s’agisse oppressions spécifiques aux
identités et genres non-binaires mais d’un rejet plus global de la
non-conformité. Aussi, si je pense que ce qu’il y a derrière le
concept d’enbyphobie a du sens dans certains cas, j'ai des doutes sur la pertinence du terme, car ce n’est pas quelque
chose qui vise directement, uniquement et consciemment les personnes
non-binaires. Le terme pourrait éventuellement être utilisé pour
ce qui est de la non-acceptation de leurs identités ou de haine,
insultes ou moqueries les visant spécifiquement, mais l’appellation
me dérange parce qu’elle amène immédiatement à la comparer à
d’autres -phobies, ces oppressions clairement ancrées,
visibles et destructrices. Je parle plutôt de ces situations en
d’autres termes, par exemple « enby-bashing ».
La
non-binarité ne se limite pas à l’identité
En fait, je pense que c’est « la non-binarité » peut
être comprise plus largement que simplement « ensemble des
personnes non-binaires » : elle peut faire référence à
toute attitude, comportement, rôle, relation, identité ou tout
processus de socialisation qui dérive du fonctionnement normé du
genre, de par le fait que la binarité est profondément inscrite
dans ce fonctionnement.
Les querelles de vocabulaire en milieu LGBTQI prennent déjà beaucoup de temps et je ne veux pas y consacrer ce texte, donc je ne vais pas m’étendre dessus. Mais il est regrettable que l’utilisation de ce vocabulaire soit aussi normé et ait créé sa propre conception de ce qui est acceptable ou pas de dire (ce qui exclue les personnes les moins favorisées et les moins formées à cette utilisation du langage des cercles militants).
Bref,
pour en revenir à ceulles qui relèvent de la non-binarité, je
pense qu’on peut étendre cet échantillon à tout·e·s ceulles
qui sont queerisé·e·s (sans forcément
chercher à être queer, mais j’y reviendrais plus loin),
qui s’éloignent suffisamment des normes de genre, d’une façon
ou d’une autre. Il n’y a pas besoin de s’identifier comme
non-binaire pour relever de la non-binarité. On a d’ailleurs pas
attendu que le mot soit prononcé pour être dans des situations
qu’on qualifierait à présent (même si peut-être à tort) de
non-binarité.
Il
me semble notamment que l’homosexualité, la transidentité ou
l’intersexuation sont autant des façons de ne pas être conforme à
la binarité, même sans qu’il s’agisse d’une intention
recherchée. Le genre est un domaine sexualisé où l’on impose des
relations avec une personne de l’autre catégorie. Avoir des
relations avec une personne de la même catégorie, c’est déjà
défier le genre et sa binarité. Monique
Wittig l’avait formulé avec une chute qui fit polémique en
milieu féministe : « La femme n’a de sens que dans les
systèmes de pensée et les systèmes économiques hétérosexuels.
Les lesbiennes ne sont pas des femmes ». Quand à la transition
d’un genre à l’autre (fut-ce un genre dit « binaire »)
ou l’existence de l’intersexuation, la nature même de ces
situations remettent en cause l’ordre binaire et le système genré
(mais ce n’est pas forcément ce que recherche ces personnes).
D’où
les limites de la formulation de « personne(s) concernée(s) »
que l’on rencontre régulièrement dans les milieux militants. On
pourrait considérer dans certains cas que des personnes ne se
définissant pas comme non-binaires sont plus concernées par la
non-binarité que certaines se définissant comme tel·le, selon le
sens qu’on met derrière. D’où l’idée qu’une personne
concernée par quelque chose l’est parce qu’elle le vit, qu’elle
est socialement concernée, plutôt que de limiter la chose au fait
de l’être uniquement parce qu’elle s’identifie ainsi.
Nous
avons donc vu que la non-binarité, dans son existence, dans son
rejet et dans les oppressions qui peuvent y être liées, était
quelque chose qui pouvait être plus large que l’identité et
rejoindre une population queer. Réfléchissons à présent sur
l’intégration de la communauté non-binaire dans cette population
et les revendications qu’elle peut porter.
COMMUNAUTÉ QUEER ET LUTTES LGBTQI
« Queer »
est une insulte (en anglais) utilisée contre les personnes
« étranges », « dérangeantes » qui a été
réappropriée par les personnes LGBTQI (lesbiennes, gays, bi·e·s,
trans, queers, intersexes), principales cibles de l’insulte, comme
une identité dont on pouvait être fier·e de se revendiquer (ex :
« We’re
here and we’re queer! »).
Il
n'y a pas vraiment d'équivalent français au terme queer même si on trouve le même genre de réappropriation avec des termes comme
« folle », « pédé », « gouine »,
etc. Le terme queer n'a pas les mêmes
implications en français qu'en anglais, car en France, il est
surtout utilisé par les personnes concernées ou dans les milieux
universitaires, plus rarement comme une insulte.
J’utilise
ici queer comme équivalant de LGBTQI car je parle de la
« queerisation » de ces personnes (le fait qu’elles
apparaissent comme différentes, anormales, gênantes, etc. pour les
non-queers) et pas forcément dans le sens de volontairement défier
les normes de genre ou de le revendiquer comme identité. Il
faut considérer que de nombreuses personnes LGBTQI ne cherchent pas
être queers, et veulent simplement vivre leur vie sans qu’on les
embête pour ce qu’elles sont/font.
Revenons
sur la formation de la communauté LGBTQI et de ses combats, parlons
de ses revendications, avant de voir comment s’y intègrent les
personnes non-binaires.
Genèse
de la communauté et du militantisme LGBTQI
Malgré
quelques prémices dans des lieux underground et de culture
alternatives, on peut véritablement commencer à parler de la
formation d’une communauté LGBTQI dans la deuxième moitié du 20e
siècle, plus précisément la fin des années 60/début des années
70.
L’événement
qu’on qualifie régulièrement de fondateur a lieu aux États-Unis
et est connu sous les nom des Stonewall
Riots (les Émeutes de Stonewall). Le 28 juin 1969, la police
de New York fait une descente au Stonewall Inn, réputé pour
être un bar fréquenté par les homosexuel·le·s et trans
(même si ce n'était pas forcément les mots utilisés à l'époque), comme elle le faisait régulièrement pour procéder à des
contrôles d'identités et arrestations (étaient notamment condamnés
les baisers entre personnes du même genre, le port de vêtements
traditionnellement associés à l'autre genre et la vente d'alcool
aux homosexuels).
Mais
cette nuit-là, les client·e·s du bar refusent de se laisser faire
et se rebellent contre les forces de l'ordre, ce qui déclenche une
émeute bien plus large. Ce qu'il s'y passe est assez flou mais on
estime qu'une foule de 2000 individu·e·s affronte 400 policiers à
coups de lancers de pierres et de bouteilles. Les émeutes durent
cinq jours. De nombreuses personnes sont arrêtées et battues,
principalement des femmes trans et des « hommes trop
efféminés », avec des facteurs aggravants de racisme,
beaucoup des victimes étaient d'origine afro-américaine ou
portoricaine.
À
la suite de ces émeutes, on observe une politisation massive des
personnes LGBTQI et la création d'organes militants, tel que le Gay
Liberation Front (« Front de libération homosexuelle ») et
des manifestations qui prendront beaucoup d'importance, les Gay
Prides (qui seront plus tard rebaptisées simplement Prides,
« Marches des fiertés »), pour clamer leur émancipation et leurs
revendications.
En France, après s’être limité à des lieux alternatifs, secrets et à la culture underground, la communauté LGBTQI se construit et se politise particulièrement au début des années 1970 en se rapprochant d'autres mouvements (de gauche révolutionnaire, du Mouvement de libération des femmes) avec par exemple le Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR) fondé en 1971, puis les Groupes de libération homosexuelle (GLH) qui se développent dans les principales villes de France. Quelques figures relativement connues marqueront ce militantisme français dans ses différents engagements, telles que celles de Christine Delphy (sociologue et féministe matérialiste), Monique Wittig (autrice et lesbienne radicale), Daniel Guérin (historien libertaire et bisexuel) ou Hélène Hazera (journaliste trans et ancienne travailleuse du sexe).
Le
VIH/SIDA
a
un impact mortel
sur
cette communauté, mais
poussa aussi à se mobiliser dans l'urgence.
Gouvernements
et lobbys pharmaceutiques se
détournerons du problème,
puisque touchant surtout ceulles
qu’on considère comme indésirables : personnes LGBTQI,
racisées, précaires, addictes, travailleur·se·s du sexe...
Depuis,
quelques avancées ont été arrachées : dépénalisation,
mariage pour toustes,
possibilités de fonder des familles... Mais ces quelques droits sont
bien souvent surtout symboliques ou
se limitent au
minimum, dans
l’espoir d’étouffer les autres
revendications.
Les
revendications LGBTQI
Les revendications des LGBTQI sont diverses car elles varient souvent selon les différents degrés de prises de conscience des discriminations, des responsables, du contexte social et des orientations politiques individuelles.
Néanmoins, pour en citer quelques-unes :
-
Lutte contre les discriminations, les violences, les oppressions
-
Dépénalisation, dépsychiatrisation, reconnaissance et normalisation des parcours lesbiens, gays, bis, trans et intersexes
-
Légalisation du mariage homosexuel, de la gestation pour autrui (GPA), de la procréation médicalement assistée (PMA), acquisition des droits à l'équivalent des personnes et des couples hétérosexuels
-
Sensibilisation à l'existence des personnes LGBTQI et à la lutte contre les discriminations
-
Lutte contre le vih/sida et dédiabolisation des personnes séropositives
-
Création de structures dédiées au soutien des personnes LGBTQI et à la lutte contre les discriminations
-
Soutien financier aux initiatives d'aide aux personnes LGBTQI
-
Reconnaissance pleine et entière du genre désiré indépendamment de celui assigné à la naissance
-
Modification libre ou suppression de la mention de sexe et/ou de genre à l'État civil
-
Légalisation,
simplification, dépsychiatrisation et gratuité des parcours de
transitions
-
Fin
des opérations non désirées sur personnes intersexes et liberté
de choisir le corps qu’elles désirent
Au
sein de certains courants, notamment révolutionnaires, une telle liste de revendications n'a pas vraiment de sens car celles-ci s’inscrivent
généralement dans un projet politique bien plus large de
réorganisation totale de la société pour la débarrasser de toute
forme d’oppression.
Ces revendications sont portées par diverses actions, souvent organisées par des associations. Les Prides sont les événements les plus médiatisées mais ce ne sont pas les seuls (en France par exemple, l'Existrans est une marche pour les personnes trans et intersexes).
Ces revendications sont portées par diverses actions, souvent organisées par des associations. Les Prides sont les événements les plus médiatisées mais ce ne sont pas les seuls (en France par exemple, l'Existrans est une marche pour les personnes trans et intersexes).
L'orientation
politique de certaines associations se retrouve dans la façon dont
elles luttent, que ce soit dans une certaine passivité pour les plus
libérales ou de façon un peu plus affirmée dans celles plus
politisées (le film 120
battements par minutes a récemment illustré le genre
d'actions qu'Act-Up
pouvait faire). Difficile de pouvoir cerner exactement l’orientation
et de quantifier le degré de politisation des personnes LGBTQI, mais
il y en a toujours eu une importante présence venant de gauche,
en particulier révolutionnaire.
Il
ne faut pas voir la communauté LGBTQI comme un organe équilibré de
convergence des luttes. De nombreux désaccords et divergences
existent en son sein, tout comme des problèmes d’oppressions
internes à la communauté, notamment sexisme, transphobie, racisme,
classisme, etc.
La communauté non-binaire
On
sait peu de choses (ou en tout cas, je l’ignore) sur la naissance
et le développement des genres, du mouvement et des revendications
concernant la non-binarité (je ne parle pas de l'existence de genres
autres que femme/homme au cours du temps mais du concept de
non-binarité tel qu'il existe aujourd'hui dans nos sociétés).
La
non-binarité (toujours dans son sens contemporain, je ne le
préciserai plus) s'est vraisemblablement développée en Amérique
du Nord (USA/Canada), sans doute à la suite de la déconstruction
des genres femme/homme comme des entités claires et définies. Des
termes comme genderqueer et non-binary ont pu être
utilisés par des personnes à qui ces catégories binaires ne
convenait pas.
Pour
ce qui en est actuellement, la communauté non-binaire existe
principalement en ligne (je n’ai pas en mémoire de groupes IRL de
non-binaires), sur des réseaux sociaux, sites et blogs, et il est compliqué
de réellement parvenir à la définir, à considérer le profil de
ses membres, leurs intentions et leurs motivations.
Les
combats autour de la non-binarité se concentrent surtout sur la
reconnaissance de la validité de la non-binarité et la lutte contre
l’enbyphobie. J’ai déjà critiqué plus tôt la
pertinence de cette formulation et du fait qu’elle relevait plutôt
des lgbtqiphobies. Quand au reste, c’est bien souvent la
valorisation des identités de genres dans toute leur multiplicité
et inventivité qui est l’angle d’attaque adopté, plutôt que de
directement s’opposer au système genré.
Les
problèmes de visibilité et de représentation de la non-binarité
existent, mais ils sont là encore surtout abordés par des
perspectives individuelles et d’identification. De plus, l’idée
de visibilité est limitée et rentre forcément en conflit avec une autre, la notion
de « safe ». C’est le même problème lorsqu’on
entre dans le champ du politique.
La
notion de « safe » (de l’anglais « sûr·e »/« en
sécurité ») renvoie d’abord à l’idée d’un espace
(physique ou virtuel) libre d’oppressions. Il a évolué pour ne
plus seulement désigner des milieux safes mais surtout (et
c’est le problème, car ça ne veut plus dire grand chose) de
personnes safes. Est-ce qu’une personne peut être safe ?
Selon quels critères ? Ce qu’elle dit ? Fait ?
Est ? Qu’est-ce qu’on considère oppressif et de quelles
oppressions parle-t-on ? Est-ce qu’on regarde le temps présent
ou est-ce qu’on se penche sur le passé de cette personne ?
Etc., etc.
Le
concept de safe a ses limites et, je pense, est plutôt à voir comme
un idéal, un objectif qui peut être recherché. Mais, comme je le
disais plus tôt, cet idéal rentre facilement en conflit avec le
champ du politique. Car la politique, c’est la confrontation des
idées, l’affrontement de visions divergentes et l’on est bien
obligé de faire face aux problèmes, y compris celui des
oppressions. Mais la confrontation est importante pour faire avancer
les idées et pour s’organiser. Il est parfois nécessaire de faire
face à ce qui peut déranger, surtout si on souhaite le combattre.
(Sur le sujet : Les
« espaces safes » nous font violence ? et
Militer :
une activité safe ? Pour une critique politique de la notion
d’espace safe)
Il
me semble important qu’il existe des espaces propices au safe. Il
est normal de désirer un espace où l’on peut être la·e plus
protégé·e possible. Cependant il est nécessaire de ne pas
invoquer immédiatement des arguments du safe lorsqu’on tente de
produire une réflexion politique, de mener des actions, etc.. Si
l’on ne peut supporter de tels combats (rien de honteux là-dedans),
mieux vaut s’en éloigner (même juste temporairement). Toute prise
de position peut être critiquée et il faut donc s’attendre à
recevoir des critiques, qui ne se font pas toujours d'une manière douce (ce qui
n’enlève pas forcément à la justesse des propos).
Après
ce détour au sein de la communauté non-binaire, voyons comment
celle-ci fonctionne au sein du milieu LGBTQI.
Les
personnes non-binaires et les luttes
queer
Je
pense que les personnes non-binaires peuvent s’intégrer à la
communauté LGBTQI dans la mesure où leur non-conformité de genre
amène à des transgressions similaires, qui peuvent les exposer aux
lgbtqiphobies. Mais il me semble nécessaire de questionner la façon
dont elle s’y positionne, de la place qu’elle y a, des
revendications qu’elle peut y porter.
Cette
communauté existe principalement en tant que lieu de lutte contre
les oppressions et espace de liberté de genre et de sexualités (à
condition que ces dernières soient réciproquement consenties et
consciemment désirées, bien évidemment).
L’aspect identitaire, bien qu’il soit présent et à ne pas complètement jeter non plus malgré la critique qui en est ici faite, n’en est cependant qu’une partie et les luttes queer ne doivent en aucun cas s’y limiter. Aussi, quand on voit que, régulièrement, on limite la non-binarité à des positionnements identitaires, on peut craindre que ces luttes se dépolitisent, perdent toute cohérence et oublient tout objectif commun de revendications.
L’aspect identitaire, bien qu’il soit présent et à ne pas complètement jeter non plus malgré la critique qui en est ici faite, n’en est cependant qu’une partie et les luttes queer ne doivent en aucun cas s’y limiter. Aussi, quand on voit que, régulièrement, on limite la non-binarité à des positionnements identitaires, on peut craindre que ces luttes se dépolitisent, perdent toute cohérence et oublient tout objectif commun de revendications.
Les
positions non-binaires (et LGBTQI plus largement, d’ailleurs)
gagneraient à sortir du schéma identitaire pour retourner à des
bases sociales, politiques, priorisant les conditions matérielles
d’existence, les oppressions et les violences. Se limiter à des
questions identitaires, n’apporterait des solutions (dans le cas où
des changements seraient faits) que pour les plus favorisé·e·s,
ceulles dont les problèmes se limitent à leur identité et le rejet
de celle-ci par le reste du monde. Qu’en est-il des violences, des
inégalités, des injustices, des mort·e·s ?
Le
mouvement de lutte LGBTQI, s’il a bien lieu, doit se faire avant
tout pour (et même par) les victimes les plus touchées, les plus
défavorisé·e·s, les pauvres, précaires, racisé·e·s,
handicapé·e·s, malades, migrant·e·s, les queers,
travailleur·se·s du sexe, prisonnier·e·s, toxicos, séropos,
gros·se·s, moches, freaks, tou·te·s les non-conformes,
même aux normes présentes au sein de la communauté queer.
Les revendications queer ne doivent pas se limiter à ce que les LGBTQI blanc·he·s,
riches, valides et déjà favorisé·e·s et dans des situations
stables par ailleurs ne soient plus victimes d’oppressions. C’est
bien souvent ce que proposent déjà des institutions se revendiquant
progressistes : du capitalisme
rose, de l’homonationalisme,
du pinkwasing
libéral à base de larmes de Trudeau et de passages piétons couleur
arc-en-ciel. Des actions suffisantes pour se faire bien voir des
LGBTQI mais sans conséquences réelles et concrètes, satisfaisant
une élite queer tandis que le reste de la population souffre du
reste de ces politiques.
L’objectif
à viser serait plutôt celui d’une révolution queer, où les
inégalités, les discriminations, les injustices, et les oppressions
de genre, de sexualité et toutes les autres (classe, race, etc.)
prennent fin pour l’ensemble de la population, pas seulement les
plus aisé·e·s.
C’est
pourquoi l’identité et toutes les formes individualisantes de la
communauté queer ne doit pas être au centre de ses combats.
Pour
que les personnes non-binaires puissent lutter parmi les personnes
LGBTQI en tant que groupe cohérent et porteur de revendications, il
faudrait oublier (au moins sur le plan politique, le plan individuel
est secondaire) les questions d’identité et revaloriser celles des
conditions matérielles d’existence, l’aspect social, là où se
jouent les schémas oppressifs.
CONCLUSION
J’ai
commencé à écrire cet article il y a plusieurs mois (je l’ai
abandonné et réécrit plusieurs fois, ne le trouvant pas assez
juste ou pertinent et j’espère que celui-ci parviendrait à
communiquer ce que je voulais dire) en réaction aux problèmes
identitaires et de dépolitisation que j’ai pu observer dans les
milieux non-binaires, même de la part de personnes se revendiquant
de mouvements très politisés.
Depuis,
j’ai l’impression qu’il y a eu un début d’évolution de ces
milieux et que la remise en cause qui me semblait nécessaire
commence à être envisagée, peut-être encore un peu à reculons,
maladroitement ou trop lentement, mais suffisamment pour que ce soit
encourageant. Il faut évidemment que nous poursuivions dans cette
voie, que nous n’abandonnions pas cette revalorisation du politique
(je me suis retenu·e d’utiliser la première personne du pluriel
jusque-là mais je me permet de le faire pour finir ce texte).
L’identité
ne suffit pas. Le ressenti personnel individualise un problème plus
large. Les listes de genres non-binaires sont une homéopathie
insuffisante à ce que subissent des personnes de genre
non-conformes. Le problème des oppressions de genre pour les
non-binaires, pour les femmes, pour les LGBTQI, etc. vient
directement du genre en lui-même, en tant que système social (sans
même parler des aggravations dans les situations
d’intersectionnalité des oppressions vécues).
À
force de parler DES genres, je crains que l’on oublie
ce qu’est LE genre. C’est pourquoi notre ligne politique,
nos revendications et nos positionnements devrait encourager
l’abolition pure et simple du genre.
Il
est rassurant d’avoir une identité, une manière de se définir
qui nous convienne. Mais ça ne permet pas de changer le fond du
problème : l’organisation sociale genrée, ses inégalités
et ses violences.
Pour
être provoc, je le dirais de cette façon : les genres
non-binaires n’existent pas. Les genres binaires non plus. Le genre
est une gigantesque farce qui divise la société en catégories
inégales, en groupes dominants et groupes dominés, des divisions
oppressives porteuses de violences, inégalités et discriminations.
L’existence des genres « femme » et « homme »
n’a de sens que parce qu’ils sont inégaux.
Notre
but devrait être de faire en sorte que ces catégories n’aient
plus de sens. De les détruire. Et de construire à la place une
société sans elles.
Il
ne s’agit pas d’ignorer l’existence sociale actuelle du genre
et de ses conséquences, de faire du « Je ne vois pas le/s
genre/s », au contraire. Mais les catégories « femmes »
et « hommes » n’ont de sens que parce qu’elles sont
hiérarchisées. Justement, détruisons ces catégories en supprimant
les schémas oppressifs sur lesquels elles reposent. De même que l’objectif de la lutte des classes est d’arrivée à une société
sans classes, que celui de l’anti-racisme est de parvenir à une
société où les processus de racialisation n’ont plus de
conséquences, celui de la lutte contre le sexisme, les lgbtqiphobies
et toutes les oppressions de genre peuvent avoir pour but de rendre
inutiles les catégorisations genrées, qu’elles soient
sexualisées, identitaires ou sociales.
C’est
un combat que nous, non-conformes, queers, LGBTQI, non-binaires, ou
quelque soit les mots utilisés, pouvons mener. Il sera long,
compliqué, décourageant, fatiguant. Mais ce combat est nécessaire.
La
non-binarité peut, je pense, proposer quelque chose d’intéressant
dans les luttes contre les oppressions de genre. Mais pour ce faire,
le schéma identitaire doit laisser la place au schéma social.
BIBLIOGRAPHIE
Voici
les principales sources qui ont fait évoluer ma pensée :
Livres :
-
Introduction
aux études sur le genre,
Laure Bereni,
Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait, Anne Revillard. De Boeck
Supérieur, 2e
éd. 2016.
-
Trouble
dans le genre. Pour un féminisme de la subversion,
Judith Butler. Ed. La Découverte, 2005.
-
La
Pensée straight,
Monique Wittig. Ed. Amsterdam, 2013
-
De
la marge au centre. Théorie féministe,
bell hooks. Ed. Cambouakis, 2017
-
Homo
Inc.orparated, Sam
Bourcier. Ed. Cambouakis, 2017
Sites :
-
http://www.radiorageuses.net/
-
https://qtresistance.wordpress.com/
-
https://hysteriquesetassociees.org/
-
http://www.crepegeorgette.com/
-
https://badasseszine.wordpress.com/
-
https://imnotacisboy.blogspot.fr/
-
https://joaogabriell.com/
-
http://misskoala.canalblog.com/
-
https://raymondreviens.wordpress.com/
- https://pr0z3.wordpress.com/
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ℒ‧ℒ
Super texte, trop intéressant ! Merci beaucoup ! Trop bien d'encourager la communauté NB à sortir un peu de ses penchants libéraux/individualisants, et vive la révolution queer !!!
RépondreSupprimerVu que tu mets ton article en CC0, je me permets de faire des remarques de trucs que j'ajouterais / avec lesquels je suis en léger désaccord :)
Au sujet du patriarcat :
RépondreSupprimerPlutôt que de parler d’un « système oppressif », d’inégalités et de privilèges, je parlerais d’un « système de domination », et d’antagonismes dialectiques (les hommes n’existent qu’à travers leur rapport de domination sur les femmes, la classe dominante existe et se définit uniquement par opposition et supériorité sur la classe dominée), en explicitant les trois aspects d’un rapport social (selon Danièle Kergoat), l’exploitation, l’oppression et la domination :
La division genrée permet à la classe des hommes l’exercice d’exploitation, oppression et domination (ce qui caractérise un rapport de domination) sur la classe des femmes, et plus généralement des « non-hommes ». Par « non-homme », j’entends tous les individus socialement rejetés en dehors du statut d’Homme, c’est-à-dire les personnes trans, les hommes homosexuels, les personnes intersexes ou déviantes de genre…
L’exploitation consiste en l’appropriation du fruit du travail d’une classe par une autre. Le patriarcat organise l’exploitation des femmes (et des « non-hommes ») dans le travail reproductif, dit "domestique", qui leur est assigné et doit être effectué gratuitement : travail ménager, psychoaffectif, sexuel, de conception et d’éducation des enfants.
L’oppression repose sur le principe d’exclusion. Les « non-hommes » sont exclu.es de l'espace public (harcèlement de rue, menace d’agressions physiques et sexuelles). Ielles sont exclu.es des zones de pouvoir politique (faible représentativité des femmes et personnes LGBT+), économique (discrimination à l’emploi pour femmes et personnes LGBT+, salaires inférieurs pour les femmes), culturel (faible représentation des femmes et personnes LGBT+ dans les rôles principaux dans les films)… Toute l’organisation sociale relègue la classe des « non-hommes » dans un seul endroit, le foyer, où ielles sont exploitées.
La domination est basée sur le contrôle de la classe dominée par la classe dominante. Il s’agit du contrôle des corps, des sexualités, des vies (les femmes ne doivent exister qu’à travers leurs relations, sociales, sexuelles, familiales, avec des hommes). Et ce contrôle repose sur la menace constante de violences physiques (coups, féminicides, viols, violences conjugales, etc.), et psychologiques (insultes, harcèlement), de la part des individus de la classe dominantes comme des institutions (police, justice, corps médical…).
Sources :
• https://secession.fr/relation-exploitation
• https://www.erudit.org/en/journals/nps/2014-v26-n2-nps01770/1029261ar/
• Le capitalisme patriarcal, Sylvia Federici. Ed. La Fabrique, 2019
Au sujet de la non-binarité et des oppressions (partie 1, suite en réponse) :
RépondreSupprimerTout d’abord, il faut dire que la volonté de s’extirper de la binarité de genre, si elle est ignorée théoriquement par la grande majorité des gens, est durement surveillée par l’inconscient collectif, qui ne manque pas de remarquer quand une personne ne rentre pas bien dans la case « homme » ou « femme », et violemment réprimée.
Pour moi, on peut parler de enbyphobie, pas uniquement comme oppression de personnes qui s'identifient comme non-binaires, mais comme toute forme de rappel à l'ordre de la binarité de genre (envers n'importe qui qui s’en éloignerait). La enbyphobie est une des oppressions spécifique (comme la lesbophobie, la biphobie…) qui compose le bouquet de lgbtqiphobies – qui sont toutes différentes, avec des implications diverses, pas sur le même plan) – sur lequel repose le système patriarcal. On peut dire qu’il s’agit d’une oppression, parmi de nombreuses autres, qui constitue un des fondements du rapport social de sexe. Qualifier d’oppression la enbyphobie ne la range pas sur le même plan qu’un rapport social tout entier (comme le rapport social de classe, de race ou de sexe), mais cela en fait une des composantes du rapport social de sexe.
Julia Serano parle de privilège cissexuel qu’on accorde aux personnes perçues comme cis, et qu’on retire quand on les perçoit comme trans. Je pense qu’il y a des mécanismes similaires pour la conformité aux normes binaires. Pour moi, les personnes subissent plus ou moins fortement des discriminations ou des privilèges en fonction qu’elles sont plus ou moins perçues comme entrant clairement pas dans une catégorie de genre binaire ou non. Ainsi, cette perception comme binaire ou non (même si ces catégories n’existent pas dans l’esprit des gens, on dirait plutôt « normal » ou « bizarre », ce qui rappelle le « straight » ou « queer » anglophone) impacte le traitement social des individus. Notamment les individus assignés hommes à la naissance, qui passent donc de la classe des dominants à la classe des dominé.es, alors que les individus assignés femmes à la naissance restent, de toute façon, dans la classe des dominé.es. Cette perception comme « straight » ou « queer » se base sur les caractéristiques sexuelles secondaires (voix, pilosité, silhouette, mâchoire, poitrine…), sur les rôles sociaux qu’on performe (vêtements, gestuelle, manière de parler, traits de caractère, centre d’intérêt, mode de vie…), et sur ce qu’on revendique explicitement (c’est là que nos identités de genre interviennent si on les revendique).
Au sujet de la non-binarité et des oppressions (partie 2/2) :
SupprimerSi l’on est perçu comme conforme à l’ensemble de caractéristiques socialement associées à un genre, on bénéficie du privilège binaire. Sinon on est plus ou moins traité comme un freak, une bête de foire, et c’est là que la enbyphobie s’exerce. On est sans cesse rappelé.e à l’ordre de la binarité de genre, en voyant son autodétermination dénigrée, moquée (mégenrage, ménommage, nécessité de cocher « M. » ou « Mme »…), en étant réassigné sans cesse à un genre, et en étant harcelé pour correspondre aux caractéristiques de ce genre.
Encore une fois, la enbyphobie ne touche pas que les personnes non-binaires, mais toute personne non-conforme à la binarité de genre, donc peut se teinter de transphobie, d’homophobie… Mais de même que d’autres oppressions se recoupent (comme la gayphobie qui rejoint le sexisme), toutes ces oppressions ayant un socle commun qui est le Genre. Et certaines personnes non-binaires, bénéficiant d’un cispassing (apparence cis donc binaire), subissent moins d’enbyphobie, comme certaines personnes trans avec un cispassing, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’on ne peut pas parler de cette forme spécifique d’oppression.
Il existe de nombreuses oppressions spécifiques, et de autant de mots pour les qualifier, et je trouve que c’est une bonne chose car c’est ce qui permet de les étudier, les expliquer… De même que la lesbophobie est une forme spécifique d’homophobie, qui elle-même est une forme spécifique de lgbtqiphobie… Pour moi, cela n’est pas parce que les mots finissent par « phobie » qu’on les mets toutes sur le même plan, où que donner de l’importance à l’une ferait perdre de l’importance aux autres :)
Sources :
• https://infokiosques.net/lire.php?id_article=884
• https://parolesdemecstransmaterialistes.home.blog/
Voilà voilà ! Désolé.e si c'est un peu long ^^
RépondreSupprimerCurieuxse d'avoir tes retours !
En tout cas merci pour ton super article très complet et nickel niveau vulgarisation de concepts quand même corsés !! je vais le faire tourner :)
Amitiés queer,
RL