Bubblehead - Nouvelle d'horreur

 
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Note de contenu : horreur, gore





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Le mercredi soir, Lucie et moi, on allait au Taekwondo. On n’était pas très fortes, mais ça nous permettait de nous défouler un peu. C’était l’occasion pour elle de sortir un peu, elle avait du mal à le faire.
La séance se finissait à 22h. Au moment de rentrer chez nous, on faisait un petit bout de chemin ensemble et on se séparait au niveau du parc. Il y avait toujours une dame assise sur un banc, devant l’entrée du parc. Elle se tenait très droite, immobile, à part sa tête qui tremblait légèrement. Elle regardait le ciel, juste au dessus d’elle. Ses lèvres bougeaient légèrement mais presque aucun son n’en sortait. Elle avait une tenue un peu douteuse, un tailleur pourpre avec des motifs fleuris, un slim noir écorché et des baskets vert fluo. Ses yeux étaient aussi d’une couleur étonnante, un orange vif perçant. 
On la trouvait un peu bizarre mais on l’aimait bien. On avait l’impression qu’elle nous aimait bien, elle aussi. Quand on se disait au revoir, Lucie et moi, elle s’arrêtait, nous regardait et nous souriait. 
La première fois qu’on l’avait vue faire ça, on avait pas réagi, on l’avait ignorée. Mais la fois d’après, on lui avait aussi souri en retour et elle nous avait salué lentement de la main. Ça nous avait fait ricaner bêtement, on s’en est un peu voulues. Mais ça l’avait fait rire, elle aussi. Elle avait un rire un peu étrange, lent et monotone. Ça ressemblait pas vraiment à un rire, en fait. 
On se demandait un peu ce qu’elle faisait là. Elle ne ressemblait pas trop à l’idée qu’on se fait d’une SDF mais elle était tout le temps sur ce banc, dans les mêmes vêtements. Ça nous surprenait peut-être aussi parce qu’on a pas l’habitude de voir des femmes s’autoriser à investir comme ça l’espace public. On espérait qu’elle ne se faisait pas embêter. 
On lui avait proposé une pièce, dans le doute. Elle n’avait pas bougé, s’était contentée de nous regarder en souriant et avait prononcé des mots incompréhensibles. Elle disait sans doute qu’elle n’en avait pas besoin mais ça ne ressemblait à aucune langue qu’on connaisse. 
Quand je passais par là, je la voyais tout le temps, peu importe le jour, l’heure ou la météo. Elle dodelinait de la tête, arrêtait de regarder le ciel, me lançait un sourire et marmonnait quelque chose. Je ne sais pas si elle faisait ça pour tout le monde, je n’en avais pas l’impression. 
On l’avait surnommée Bubblehead, avec Lucie, parce que sa tête bougeait tout le temps et qu’elle avait l’air dans sa bulle. On avait bien essayé de lui demander comment elle s’appelait, mais dès qu’on lui parlait, elle nous répondait dans sa langue étrange. 
Un jour, on a remarqué qu’elle était blessée. Elle avait le visage entaillé et des taches qui ressemblaient à de la boue et du sang sur ses vêtements. Mais elle souriait toujours. Elle ne nous avait pas compris quand on lui avait demandé si elle allait bien ou si elle avait besoin d’aide. 
Et puis, la semaine suivante, elle a tout simplement disparu. En sortant du Taekwondo, on arrivait devant le parc, mais le banc était vide. On est repassées les jours qui suivaient, mais toujours aucune trace d’elle. Lucie espérait qu’elle soit partie ailleurs, qu’elle ait trouvé du travail ou un logement. Mais on craignait toutes les deux qu’il lui soit arrivé quelque chose de grave. 
On est allées demander dans un bar à côté si quelqu’un savait où elle était, mais tout ce qu’on avait pu en tirer c’est que les gens étaient contents qu’elle soit partie, elle leur faisait peur.
Les mercredis passaient et le banc restait vide. 
Et un soir, alors qu’on se disait au revoir, on a vu quelque chose dans le parc. Une forme avec des couleurs qui rappelaient les vêtements de Bubblehead. Elle marchait lentement, au milieu des jeux pour enfants. On aurait dit qu’elle boitait et qu’elle se tenait le ventre. Elle avait l’air plus trapue que d’habitude. On l’a interpellée, mais elle n’a pas réagi. Elle a disparu derrière des buissons. On ne voyait pas très bien parce qu’il faisait sombre et que le parc était peu éclairé. 
On est allées voir. Il y avait des traces de sang sur le sol. On pensait qu’elle était blessée. On a suivi les traces. On entendait des grognements. On était inquiètes et l’éclairage trop faible qui clignotait n’était pas très rassurant.
Les traces de sang nous ont menées jusqu’à un petit tas de buissons dans un coin du parc. Des bruits de craquements en venaient. On avait la trouille mais on a regardé. On n’aurait pas dû. 
Elle nous fixait, les genoux fléchis, la tête penchée sur le côté. Tout son corps tremblait comme le faisait d’habitude seulement sa tête. Ses vêtements étaient tachés de rouge et à moitié déchiquetés. Un filet de sang coulait de sa bouche tordue en un sourire démesuré. Tout autour d’elle, des bouts de tissu, de déchets, de fourrures et surtout des morceaux de chair, peut-être en partie animale mais certainement aussi humaine. 
Certainement aussi humaine parce que Bubblehead avait à peu près un demi cadavre humain posé sur ses jambes et que l’autre moitié reposait un peu plus loin dans une mare de sang. 
On a poussé une exclamation et Lucie est partie en hurlant. Pas moi. Je suis restée tétanisée par la peur. Bubblehead a suivi Lucie des yeux puis les a rebraqués sur moi, avant de se jeter comme le ferait un requin sur le cadavre qu’elle tenait et de le dévorer à coup de mâchoires inhumainement distordues. 
Paralysée par la peur, je l’ai regardée se repaître. Les bruits étaient peut-être le pire, je les entends encore dès que je ferme les yeux. Elle mangeait tout, même les os, qui résistaient un instant avant de craquer entre ses dents. Elle s’arrêtait de temps en temps et me regardait de ses yeux orange écarquillés frétillants. Elle a dévoré son demi cadavre et ne s’est arrêtée que pour aller chercher l’autre moitié. 
J’en ai profité pour m’enfuir. Alors que je sortais enfin du parc, une sorte de hurlement a résonné jusqu’à mes oreilles. 
Je suis rentrée chez moi en courant aussi vite que je le pouvais et me suis enfermée à double-tour. J’ai tenté de reprendre mes esprits et j’ai appelé Lucie. Elle a décroché et a réussi à articuler d’une voix tremblante et peu convaincante qu’elle était à l’abri et qu’elle ne risquait rien. 
J’ai appelé la police mais on ne m’a pas crue. Évidemment. Si quelqu’un d’autre a découvert ce qu’il s’était passé, c’est resté secret. 
Je n’ai pas dormi de la nuit. Le lendemain, au travail, Lucie a fait comme s’il ne s’était rien passé. On en a plus jamais parlé, dès que je veux aborder le sujet, elle se ferme complètement. Mais je pense qu’elle n’a rien oublié de ce qu’on a vu. 
J’ai mis longtemps avant de repasser du côté du parc et du banc sur lequel Bubblehead restait assise. Elle n’y était plus. Plus personne ne l’avait revue. 
Qui était-elle ? Qu’est-ce qu’elle était ? Quelles étaient ces intentions ? Y a-t-il d’autres personnes comme elle ? Toutes ces questions me trottent encore dans la tête mais restent sans réponses. Peut-être que c’est mieux comme ça. 
Parfois j’ai l’impression de l’apercevoir du coin de l’œil, dans des recoins sombres. 
Ce n’est peut-être que mon cerveau qui me joue des tours, mais cette nuit, j’ai vu deux petites tâches de lumière derrière ma fenêtre, d’un orange qui m’a tout de suite rappelé ses yeux. Mais c’était sans doute autre chose, des phares ou des lampadaires. 
Oui, je n’ai rien à craindre. 
Je crois. J’espère


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Publié en juin 2018 par Lydie L. sur https://dedale-d-idees.blogspot.com/


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Merci d'avoir lu !

Lydie L. 
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